ISSN: 0041-4255
e-ISSN: 2791-6472

M. TAYYİB GÖKBİLGİN

J’ai sur le Rapport quelques objections et je dois dire tout d’abord que je ne le trouve nullement satisfaisant. Le premier oprblème concerne le sens donné ici aux mouvements paysans, comme mouvements pouvant être définis dans le sens de mécontentement, de révoltes, d’insurrections venant des paysans proprement dits. Nous ne sommes pas d’accord avec ces collègues dans cette affirmation, parce qu’à ces époques et dans les territoires en question, il serait difficile de caractériser certains mouvements comme des mouvements paysans, c’est-à-dire, appartenant exclusivement à la paysannerie. A mon avis on peut discuter sur la signification essentielle et appropriée de la notion en question.

Il est évident qu’il y a eu presque partout, à toutes les époques historiques, des périodes de paix, de calme et d’ordre, ainsi que des périodes de désordre et de troubles plus ou moins accusés. On constate que les mouvements de divers caractères qu’on rencontre de temps en temps, et meme souvent, à l’époque de la féodalité occidentale et, avant la domination ottomane, dans les pays de la péninsule balkanique, sont devenus à une époque plus récente, et précisément au début de l’époque ottomane, beaucoup moins importants et restreints seulement aux temps critiques. Par conséquent il s’était produit alors une certaine Pax Ottomana.

Je pense qu’il faudrait d’abord ne pas oublier le caractère dominant de l’époque en question; époque de caractère religieux, à coté d’autres caractères, bien entendu, dont l’effficacité peut être prise en considération. Mais je pense que ce serait commettre une grande erreur que d’essayer d’expliquer chaque mouvement en se basant sur le facteur économique comme facteur principal et de tâcher de désigner l’anti-ottoman, l’anti-turc, en le faisant synonyme de l’anti-féodal, ignorant ainsi qu’il n’y a jamais eu dans l’Empire Ottoman de féodalité au sens propre. Par contre, je dois rappeler comme une affirmation soulignée jusqu’à nos jours par de nomreux historiens sérieux, consciencieux et objectifs, que l’Empire Ottoman, à l’époque de sa fondation, avait apporté à la péninsule balkanique, l’ordre, la justice, ayant pu y constituer une synthèse de l’administration et de l’organisation, s’appuyant sur la compréhension et la tolérance bine larges, relativement à son époque. Il était aussi un élément de conciliation dans une société incohérente, parmi des populations très hétérogènes. Cela est déjà depuis longtemps une vérité historique.

Dans le Rapport en question on a essayé d’apprécier les événe-ments historiques d’une façon, à mon avis, défectueuse. On peut citer comme un exemple typique à ce propos la révolte de Bedreddin Samavnah, dont j’ai eu l’occasion de parler dans une autre section. Pour pouvoir porter un jugement acceptable sur cet homme, sur sa valeur et son action, il fallait bien comprendre ses pensées, ses ouevres principales, surtont le Varidat, qui reflète sa doctrine religieuse et philosophique, aussi bien que leur application à la société des différentes régions. Je doute fort que les auteurs cités dans le Rapport puissent bien comprendre ces problèmes et les interpréter comme il le faut.

Qu’il me soit permis de faire maintenant à ce propos une brève esquisse et de donner quelques explications nécessaires. Quand ce révolutionnaire, qui était aussi un érudit, s’était trouvé, à plusieurs repsises en certains endroits de la péninsule balkanique, comme le Dobroudja, la Macédoine etc., il avait observé et constaté des diver-gences et des complications entre des éléments très variés, parmi les groupes ethniques et religieux; il était convaincu de la nécessité d’une réforme profonde dans l’Islam, à la suite de rapprochements qu’il faisait entre les adeptes de l’Islam et ceux de l’église d’Orient. Or il n’a pu acquérir le pouvoir, et ses entreprises et ses pensées n’eurent aucun succès en pratique. Quant aux tentatives qu’ont essayé d’appliquer ses partisans et représentants, ignorants et fanatiques, au sujet de la propriété collective et du principe d’égalité sosiale, elles n’occa-sionnèrent pour eux que d’énormes pertes. Il faut considérer aussi dans cette action que les partisans étaient des paysans simples et purs, et leur participation à cette action visait l’administration ottomane ou bien les oppresseurs indigènes qui, ayant proiité de la souplesse et de la tolérance infinie de leurs Sandjak-beys, ou de leurs Beyler-beys, devenaient souvent de véritables oppresseurs envers les paysans.

Un autre événement, cité comme argument à ce sujet, le mouvement soit disant paysan de 1477-78, dont on souligne qu’il fut répandu jusqu’en Slovénie, encore sous le domination des Habsbourgs avorte justement à la dernière année de la guerre ottomano-vénitienne, et les querelles se répandent naturellement aux pays frontières et en Albanie; par conséquent il serait sans doute une erreur d’y chercher un motif d’anti-ottomanisme, de l’identifier avec l’action anti-féodale et de l’interpréter ainsi. Certes, les populations qui vivaient dans les zones de guerre ont beaucoup souffert pendant les razzias entreprises par les deux camps adverses; il est donc tout à fait compréhensible qu’elles aient voulu s’en libérer.

Nous pouvons apprécier les événements de 1594-98 en raisonnant de la même manière. On sait très bien qu’à cette époque la Valachie et la Moldavie entraient dans la sphère de trois Etats puissants: L’Empire Ottoman, la Pologne et la Hongrie d’abord et puis de la monarchie des Habsbourgs ensuite. Dans ces deux principautés danubiennes les Voivodes pouvant prendre le pouvoir cherchaient à écraser leurs rivaux en s’appuyant sur l’une de ces puissances, et lorsque les querelles intestines duraient, il se produisait de graves complications entre cellesci. Les deux partis soutenaient chacun un des prétendants, légitime ou non. Alors commençaient les interventions extérieures auxquelles participaient, semble-t-il, les paysans, de même, les bourgeoisies des villes s’y mêlaient et souffraient beaucoup de ces querelles. C’est pourquoi les chefs de combat comme par exemple Deli Marko, Baba Novak etc. étaient, à mon avis, les leaders d’une clique ayant pris parti pour l’un de ce voivodes; mais ceuxci n’étaient jamais les représentants des masses paysannes, qui souffraient véritablement pendant les querelles intérieures et les opérations militaires extérieures. On peut supposer aussi qu’ils voulaient sortir de la dépendance ou de l’influence de ccs puissants, et, en favorisant l’autre espéraient de cette manière que leur sort fût devenu meilleur et leur état plus prospère. C’est ainsi que je considère pareillement les mouvements de Kurucz en Hongrie au XVII e siècle, contre ceux des Labances.

Pour conclure on peut dire que, dans les pays de la péninsule balkanique, où l’Empire Ottoman dominait, l’on ne peut prétendre qu’il y eût des mouvements de révolte, qualifiés toujours par nos collègues d’anti-ottoman, d’anti-turc, comme synonymes d’anti-féodal. La Sublime Porte y pouvait assurer complètement l’ordre public, la justice et les lois, et ne permettait, de même, aucune action arbitraire ni abusive.

D’ailleurs, le système agraire ottoman s’était essentiellement appuyé sur les principes de justice sociale, en comparaison, bien entendu, de son époque et ne favorisait jamais, ni au sens propre, ni dans les applications —originales et parfaites— les frottements entre les gouvernés et les gouvernants. Il est évident, d’autre part, que dans la société ottomane musulmane d’alors, dominait un complexe de supériorité, mais, en même temps, le traitement des sujets, des Reâyâ, devait se baser sur les principes des lois, soit découlant du Chériat, soit de l’ôrf. On constate aussi que, lorsque ce système et ce mécanisme économique et social commença à dégénérer et les actes arbitraires et les abus augmentèrent, il se produisit aussitôt presque partout des mécontentements, des mouvements paysans etc., de sorte que, non seulement aux pays de la péninsule balkanique où vivaient des groupes différents d’ethnique et de religion, l’un à coté de l’autre, paisiblement, mais aussi dans les vastes contrées de l’Asie Mineure où vaivait en grande majorité l’élément turc, soitdisant l’élément dominant, ces mouvements se multiplièrent. Alors, nous pouvons dire qu’il faut apprécier les événements historiques dans leur valeur, dans leurs qualités originales, ne visant aucune idée fixe ni arrière pensée. Appuyé sur le raisonnement cidessus exposé, j’ai l’impression que ce Rapport a été préparé superficiellement et d’après certaines idées fixes. Je pense que pour arriver à des jugements plus sains, plus corrects et dignes de confiance, il faut apprécier les événements historiques dans leur originalité, considérant, pour cela, plusieurs facteurs. Je souhaite que les rapporteurs veuillent bien apprécier mes objections, mes critiques sous Ja lumière de ces concidérations.