En Thrace Turque, les recherches d’archéologie préhistorique, sous l’auspice de la Société d’Histoire Turque, avaient commmencé en l’année 1936 sous la direction du Prof. Dr. Arif Müfid Mansel. Dr. Mansel avait fouillé entre 1936 et 1939 plusieurs tumuli (tertres) de notre Thrace. (Voir : A. Μ. Mansel, Les Fouilles de Thrace 1936 - 39. Belleten, Vol IV. Ns 13 p. 115-139. 1940 et spécialement: — Die Kuppelgräber von Kırklareli in Thrakien. Ankara. 1943). “Ces tertres ou tumuli qui, de tous temps, ont excité la curiosité des voyageurs et dont la signification est restée longtemps inconnue, ont été mis en rapport par l’archéologue français A. Dumont avec le passage d’Hérodote (V, 8) relatant les coutumes funéraires des anci-ens Thraces. A. Dumont montra ainsi que la plupart de ces monticules n’étaient autre que des monuments funéraires.” Leur âge remonte d’après Mansel au 5e et au moins au 4e siècle avant J. Chr.
En 1936 le Dr. Mansel avait fouillé à Alpullu (près de la raffinerie de sucre) un tumulus. Ce tumulus ne contenait pas de sépulture. Mais par contre à 25 - 30 cm. de profondeur au - dssous du sol on a trouvé des restes d’habitations préhistoriques détruites par un incendie, ainsi qu’en témoignent des masses d’argile à surface rouge, des os d’animaux, et surtout une grande quantité de céramique monochrome noire, grise ou blanche, vases travaillés à la main et à surface extérieure polie et munie de dessins géométrique incisés. Le Dr. Mansel a pu dater les céramiques d’Alpullu comme remontant au commencement de l’âge du Bronze. Jusqu’en 1939 notre connaissance pour les temps proprement préhistoriques était limité à cette trouvaille. En 1959, donc après ving ans d’intervalle, les recherches et explorations préhistoriques sont reprises par moi-même, et cette fois aussi sous l’auspice de la Société d’Histoîre Turque. Nous tâcherons d’indiquer les principaux résultats de nos recherches :
I. Les trouvailles préhistoriques aux alentours d’Istanbul. — A propos de la Fondation de Byzance Mr. Runciman nous dit que “Byzance fut fondée par des marins de Mégare, en 652 avant J. - Ch, à la limite extrême de L’Europe, au point où le Bosphore rejoint la Mer de Marmara. Ces côtes n’étaient pas inconnues des colons grecs. Quelques années auparavant d’autres Mégariens avaient fondé, sur la rive opposée en Asie, la ville de Chalcédoine” (Kadıköy d’aujourd’hui). Mais nous devons remarquer que le premier établissement à Istanbul remonte à une date beaucoup plus reculée. En effet T. J. Arne signale que J. Miliapulos mit au jour en 1907, en un lieu appelé Fikirtepe prés de Kadıköy (Chalcédoine), des outils de pierre et des tessons de poterie appartenant selon lui à l’âge Néolithique. Or des fouilles exécutées au même site à l’automne de 1952 par les Professeurs Arif Müfid Mansel, Kurt Bittei et Hâlet Çambel (Istanbul) ont abouti à la découverte d’une couche d’habitation ayant fourni un riche matériel de céramique et des ossements humains de l’âge Chalcolitique. Avant eux j’avais fait la même année des recherches aux alentours du site et obtenu des coups de poing (?) en silex. Donc si nous prenons en considération ces trouvailles conjointement au coup de poing et aux autres instruments du type paléolithique trouvés à Pendik par mon ancienne élève Madame Muine Atasayan en 1940 et par moi-même en 1959, nous devons faire remonter la Préhistoire du peuplement d’îstanbul jusqu’au Paléolithique. Aujourd’hui je considère ces pièces de silex, que j’avais trouvées alors en surface, comme des outils en rapport avec la culture calcolithique de Fikirtepe - à l’exçeption, toutefois, de quelques-unes de type paléolithique.
Toujours aux alentours du même site j’ai effectué en 1960 trois sondages dans le but de collecter du nouveau matériel et chercher une relation éventuelle (au point de vue culturel) d’un autre site préhistorique en Thrace Turque que j’avais découvert en 1959 à Edirne. A Pendik, toujours sur la côte d’Asie et à 30 kilomètres au sud de Kadıköy en 1959 j’avais collecté, quelques instruments à typologie paléolithique. En 1960, pendant mon exploration à Pendik, j’avais remarqué sur les versants d’une tranchée de la voie ferrée les vestiges de couches d’habitations et recueilli quelques tessons de poterie. En 1961 au même lieu j’ai effectué quatre sondages. Les objets préhistoriques que nous avons obtenus avaient une grande ressemblance avec les objets préhistoriques de Fikirtepe.
Parmis les pièces de Pendik nous citerons les tessons de poterie monochromes de couleur rouge grise et noire Quiques poteries de couleur noire avaient des dessins géométriques incisés semblables à la céramique incisée de Fikirtepe. Des spatules, aiguilles, harpons, idoles en os, et quelques couteaux de silex et en obsidienne. Enfin dans les couches d’habitations nous avons recueilli des os d’animaux, des coquilles de moules. Ce site préhistorique comprend, approximativement, une superficie déplus de 150-200 m2. La plus grande partie du l’habitat est démolie anciennement et récemment pendant les traveaux de la ligne de chemin de fer. L’âge du site de Pendik comme l’âge du site de Fikirtepe se situe au 4e millanaire avant J. Ch. Le Prof. Kurt Bittei avait insisté, du point de vue géographique, sur l’importance des trouvailles de Fikirtepe. (Voir Kurt Bittei: Les Fouilles de Fikirtepe. - Actes du V. Congrès d’Histoire Turque. 1956. 29-36. 1960 Ankara).
Donc, l’importance du site préhistorique de Pendik vient de ce fait qu’il est contemporain de Fikirtepe et il est pour le moment la deuxième découverte sur la côte est de la mer de Marmara. Nous pouvons provisoirement nommer ce complexe comme “culture préhistorique de la côte de Marmara”. A Fikitrtepe, au cours de mes sondages en 1960, j’avais obtenu une pièce de moulin en pierre. C’est une preuve, malgré l’opinion contraire du Prof. Kurt Bittei, que Fikirtepe était un site préhistorique permanent et non saisonnière. La fameuse grotte de Yanmburgaz près du lac du Küçükçekmece à 30 kilomètres à l’ouest d’îstanbul (Les naturalistes Abdullah Bey 1869-70, Harun Reşit Bey 1920, Professeur Hovase 1927 et Kansu 1959) nous a fourni pendant un court sondage un morceau de poterie fait à la main avec un pourtour portant comme decoration l’impression digitale (Néolithique?). Cette grotte conserve très probablement dans ses dépôts de remplissage une industrie paléolithique.
II. En pleine Thrace Turque, à 5 kilomètres au nord-ouest d’Edirne il y a une carrière de sable et conglomérats. Cette carrière est située sur la terrasse supérieure de la rivière Tunca (ancienne Tonzos), et le lieu s’appelle Çardakaltı. En 1959 en ce lieu on a découvert par moi même un site préhistorique. Les sondajes que j’avais effectués en 1959 et 1960 nous ont fourni un riche matériel archéologique : tessons de bols, de pots, de coupes et de vases, tous faits à la main. Leur couleur est monochrome (rouge, noir, gris). Certains tessons portent des décorations géométriques (traits incisés, en méandres, en spirales, en gouttières, impressions digitales, décorations pointillées). Certaines pièces portent sur leur surrface externe et interne des dessins géométriques. Nous avons recueilli aussi des haches polies, des moulins en pierre. Au cours des sondages nous n’avons obtenu aucun objet en métal. Je dois ajouter que ce site préhistorique (à cause de la carrière) est presque détruit. Pour le moment le site de Çardakaltı est la seule station préhistorique (chalcolitique) pour la région de l’ouest de la Thrace Turque. Le site de Çardakaltı, malgré le manque d’objets en métal, nous donne l’impression d’une culture de la fin de l’âge chalcolithique. Les poteries de Çardakaltı avec les poteries d’Alpullu d’une part et quelques poteries récemment trouvées, décrites par D. H. French en 1961 et par Kansu en 1962 à Kanallı (Kınalı) - köprü près de Silivri, d’autre part, nous prouvent que l’existence d’une civilisation pré-historique au moins de la fin du Chalcolithique pour la Thrace Turque est déjà acquise.
D’autre part, nous avons accompli, à Edirne le 10 Septembre 1963 avec l’aide aimable de Monsieur le Gouverneur Sadrı Sarptır et en compagnie de Monsieur Ruhî Esin, sous-directeur en retraite de l’Education Nationale, une reconnaissance dans la région de Lalapaşa, où Monsieur Ruhî Esin nous avait signalé en 1960 l’existence probable de dolmens.
A 300 m. au nord du village Büyünlü (sous-préfecture Lalapaşa), se trouvent en effet des dolmens typiques que les villageois appellent “kapaklı kaya” (roc dallé) ou “Peri kızı evi” (maison de fée). Nous y avons constaté un groupe de quatre, entouré de frênes, plus un dans les vignes à l’est dudit groupe (on a bâti sur ce dernier une cabane de veilleur des vignes) et un autre sur la route menant à Lalapaşa, dans un champ labouré, à 300 m. à l’ouest dudit Dikilitaş - donc en tout six dolmens.
Dans le groupe de quatre, un dolmen est entièrement et un autre partiellement détruit.
Tous son faits de grossiers blocs. Leur direction indique le Nord- Ouest. Tous portent sur le bloc tourné vers le sud, près du sol, un trou en forme ovale (dalle-hublot) typique.
Le groupe des dolmens repose sur une petite éminence circulaire.
A part ces dolmens, il en existe encore, au dire de Monsieur Ruhî Esin, aux lieux situés entre Hanliyenice et Donköy, entre Tatarlar et Süleyman Danişment, ainsi que sur la prairie de Hacıdanişment. Monsieur Hüseyin Gencan, instituteur au village de Hanliyenice, nous déclare avoir vu des dolmens formant série (allée couverte?) entre Danişment et Çeşmeköy. Il est en outre probable, d’après les renseignements donnés par Monsieur Ruhî Esin, qu’il existe encore des dolmens et des menhirs (?) entre Tatarlar et Keremedenler.
Camme nous le dit J. Déchelette: “Les dolmens manquent dans l’Europe Centrale. On n’en retrouve aucun vestige ni dans les provinces rhénanes, ni dans l’Allemagne du Sud, ni en Bohême, ni en Hongrie. Toutefois, en Bulgarie on a signalé les restes de soixante de ces monuments dans la région située an Nord d’Andrinople. (Les frères Skorpil, Les Monuments de la Bulgarie, 1er Vol, 1ère Partie: La Thrace, Sofia 1888. Ouvrage écrit en langue bulgare, résumé en allemand par Μ. Woldrich dans MAGW, 1888, p. 285-c. r. dans Anthrop. 1890, p. no; Bontscheff, Dolmen im Südlichen Bulgarien, CBIA, 1896, p. 35). Ils abondent au contraire dans l’Europe occidentale et septentrionale. En Grèce, on n’en connaît aucun...” (Joseph Déchelette, Manuel d’Archéologie Préhistorique Celtique et Gallo-romaine, V. I. p. 415, Paris 1924).
Nous pensons que les dolmens de Lalapaşa - Büyünlü sont de date plus ancienne que les tumuli de Thrace. C’est toutefois à la suite de fouilles - sondages à faire sur ceux-ci qu’une conclusion définitive peut être tirée à ce sujet.
Nous voulons signalar nos trouvailles paléontologiques faites en 1959 et 1960 aux environs d’Edirne. J’ai eu l’occasion de trouver dans des couches de sable de “Kıyık” les défenses du probos- cidien et dans les alluvions du “Sabuncu bağları”, toujours à l’est d’Edirne, des dents de synchonolophus (Osborn), des dents d’Hipparion et de Rhinocéros, (d’après les identifications du Dr. Fikret Ozansoy). Ces restes fossiles constituent après la trouvaille faite en 1904 à Edirne du Sivatherium giganteum, selon la citation de O. Abel: (Über einen Fund von Sivatherium g. bei Adrianopel, Acad. der Wis. Vol. C. XIII. pp. 629, 650. 1904) les plus recentes trouvailles paléontologiques appartenant à l’horizon du pliocène inférieur pour la région ouest de la Thrace Turque.