Le Néolithique, époque qui, par le développement de la sédentarisation, annonce les temps modernes, présente un intérêt certain pour l’anthropologiste. On assiste alors à l’installation des races modernes qui commencent à se manifester au mésolithique. Disposant de séries plus importantes, les processus évolutifs peuvent, de leur côté, être plus aisément abordés.
L’Anatolie et le Moyen-Orient, culturellement en avance sur l’Europe, surtout l’Europe de l’Ouest, présentent, de ce fait même, un attrait supplémentaire.
Nous passerons en revue les découvertes d’ossements humains de cette période dans cette région et essaierons d’en tirer quelques conclusions.
TURQUIE : C’est sans conteste la Turquie qui a livré le plus de restes humains néolithiques. Si nous nous déplaçons d’Ouest en Est, nous trouvons les gisements suivants : Kum-Tepe, situé à 5 km au N.O. de Troie; Öküzini, non loin d’Antalya; Çatal Hüyük, sur le plateau anatolien (ce site se trouve à 60 km environ au Sud-Est de Konya); un autre gisement également appelé Çatal Hüyük, mais se trouvant dans la plaine d’Antioche; enfin Altintepe, à 20 km à l’Est de Erzincan-Erzurum. - On doit à Ş. A. Kansu (1937) l’étude des 4 squelettes féminins néolithiques mis au jour à Kum-Tepe.
Un crâne seulement (le n°2) a été étudié, les trois autres, très fragmentaires, n’ayant pu être reconstitués. Cette tête brachycrâne, hypsicrâne, tapinocrânc a appartenu à une femme de stature voisine de 160 cm. 11 est possible qu’elle soit un représentant de la race alpine. On ne peut rien dire quant à l’appartenance raciale des autres specimens.
— Le squelette incomplet d’une femme morte à 22-25 ans, trouvé à Öküzini a été décrit par M. Şenyürek (1958). Sa glabelle et ses arcades sourcilières modérément développées, associées à d’autres caractères, permettent de le classer parmi les Méditerranéens, plus particulièrement parmi les Eurafricains (ou Atlanto-méditerra- néens).
— Le gisement de Çatal Hüyük, sur le plateau anatolien, a livré un nombre particulièrement important de spécimens dont l’étude anthropologique est en cours d’élaboration (D. Ferembach). Mais, dès maintenant, nous pouvons dire que les Méditerranéens robustes (Eurafricains) y dominaient, les Méditerranéens graciles n’étant, eux, que faiblement représentés (environ 17 %). L’intérêt de ce gisement réside aussi en la présence d’un certain nombre de brachycrânes alpins (13 sur 62 specimens dont l’indice crânien horizontal a pu être calculé).
Des squelettes trouvés à Çatal Hüyük, dans la plaine d’Antioche, rien n’a pu être précisé par W. Μ. Krogman (1949) en raison de leur état très fragmentaire.
— Provenant d’AItintepe, deux squelettes incomplets, datés delà fin du 8è millénaire ou du début du 7è, ont été étudiés par R. Çincr (1965). Cet auteur rapproche le squelette masculin, correspondant à un homme mort vers 45-50 ans, de la race eurafricaine. Le deuxième specimen a appartenu à une femme morte vers 50-55 ans. Plus gracile que le précédent, il rappellerait davantage, pour R. Çiner, les Méditerranéens graciles. Il semble, par l’examen de la photographie, qu’une affinité eurafricaine ne soit pas à exclure.
SYRIE: Passant en Syrie, nous y trouvons le gisement de Tell Ramad (D. Ferembach, à paraître) situé à 20 km environ au Sud de Damas. Les restes de 45 individus y ont été exhumés : 16 enfants, 29 adultes. Sur 9 crânes seulement des mesures ont pu être prises, et encore pas toutes. Des caractères morphologiques ont été relevés sur un nombre un peu plus élevé de sujets.
La presque totalité des individus se rattache aux Méditerranéens graciles. Un seul fait exception qui présente des affinités avec les Eurafricains. On a pu prouver que l’obsidienne utilisée par ces villageois provenait pour une bonne partie des environs de Kayseri, en Cappadoce (plateau d’Anatolie). Etait-il un étranger venu de ces régions?
Ce site se signale aussi par la présence, comme à Jericho (Jordanie) de crânes surmodelés. Deux, en particulier, sont assez bien conservés. Après décharnement des pièces et, pour certains peutêtre, avulsion des dents, les faces étaient reconstituées avec du plâtre. Celuici recouvrait aussi une partie du frontal, des temporaux et de la base du crâne. Le nez, les oreilles, les yeux étaient modelés sur l’os, redonnant l’aspect du vivant. Le cou, dont les vertèbres avaient été enlevées, était, de son côté, ébauché. De petites figurines en terre cuite disposées sous le cou simulaient le corps (H. de Contenson, 1967). Ces deux crânes, ayant appartenu à des femmes mortes vers 18-20 ans, se classent sans hésitation parmi les Méditerranéens graciles.
ISRAEL: On ne connaît presque rien des hommes du Néolithique en Israel. Le squelette d’un enfant de trois à cinq mois a été exhumé à Sheikh Ali. Malgré le jeune âge de ce sujet, on peut dire qu’il appartient à la race méditerranéenne, sans pouvoir préciser davantage (D. Ferembach, à paraître).
Nous citerons aussi un crâne et deux mandibules découverts dans le Carmel, à Nahal Oren (Ouadi Fallah) et présentés tout d’abord comme mésolithiques (D. Ferembach, 1959). Les archéologues s’accordent maintenant pour admettre qu’ils proviennent du niveau néolithique. De la face, seul le palais est conservé. Le crâne, de petites dimensions, est celui d’une femme morte vers 35-40 ans. Par l’ensemble de ses caractères, sa brachycrânie, il se rattache à la race alpine.
JORDANIE : Du gisement de Jericho, K. Μ. Kenyon a mis au jour un nombre important de squelettes néolithiques dont l’étude a été confiée à G. Kurth (1955a, 1955b; 1957a, 1957b; 1958; 1959; 1962). Une monographie détaillée n’en a pas encore été publiée. L’état des pièces, souvent très brisées, ne facilite pas leur examen.
Certains spécimens présentent des marques de déformation intentionnelle provoquant leur élargissement. La brachycéphalie montrée par plusieurs sujets devra donc être examinée en tenant compte d’une influence culturelle possible. Ce point devra être précisé.
A côté de ces brchycéphales, dont certains sont probablement des Alpins, le niveau précéramique (Néolithique sans poterie A) a livré des individus de petite stature, dolichocéphales, montrant une tendance à l’étroitesse de la face, qui “continuent incontestablement la vieille couche dolichocéphale” (G. Kurth, 1959). On peut voir en eux des descendants, aux caractères atténués, des Natoufiens du type d’Erq-el-Ahmar ou de Mallaha.
Dans les couches précéramiques plus récentes (prénéolithique sans poterie B), il est question d’un crâne dolichomorphe à la face étroite et allongée. G. Kurth y signale aussi, à la fin de cette période, l’apparition de “formes nouvelles”, sans préciser lesquelles. De son côté, K. Μ. Kenyon fait un parallèle entre le niveau précédent et l’apparition de l’indiustrie tahounienne, véhiculée peut-être par d’autres Natoufiens. L’aspect plus gracile de ces Hommes nous fait pencher vers une parenté avec les Natoufiens du type de Fallah (D. Ferembach, 1962), eux-mêmes moins grossiers que ceux d’Erq-el- Ahmar ou de Mallaha.
Deux vagues distinctes auraient donc participé au peuplement de ce village. L’une a dû provenir de Natoufiens d’un type grossier, tels ceux vivant dans le village de Mallaha; à l’autre ont dû participer des Natoufiens d’aspect plus gracile, tels ceux vivant dans les grottes de Fallah.
IRAK : En nous éloignant davantage vers l’Est, nous arrivons en Irak. Si l’on excepte quelques renseignements donnés sur les faces, seules les dents ont été étudiées chez les Néolithiques de Jarmo (A. A. Dahlberg, 1960). Il est difficile avec si peu d’éléments de préciser les affinités raciales de ces sujets. L’auteur conclut que “les caractères dentaires génétiques et non génétiques de ces premiers agriculteurs de Jarmo, Iraq (6750 ± 500 av. J. G.) ont beaucoup de similitude avec ceux des Méditerranéens modernes et ceux des peuples européens. Ils ressemblent aux Iraniens et aux Indo-Européens plus qu’aux autres et n’ont aucun caractère mongoloïde”.
Le crâne découvert à Tepe Gawra a été décrit par W. Μ. Krogman et W. H. Sassaman (1950). Nous n'avons pas pu lire, malheureusement, ce travail.
Trois têtes, deux masculines et une féminine ont été exhumées à Tell Hassuna. De la brève description donnée par C. S. Coon (1950), il ressort que l’on est en présence de trois Eurafricains.
IRAN : Nous nous arrêterons enfin en Iran où, dans la tranchée B de Belt Cave, ce même auteur a mis au jour le squelette d’un homme. Il n’en donne que très peu de détails. Par son aspect robuste, peut- être se rapprochaitil plutôt des Eurafricains.
CONCLUSION
Si nous résumons ce que nous venons d’exposer, nous constatons que les Eurafricains dominent en Anatolie; en Jordanie, à Jéricho ils constituent la couche la plus ancienne; en Syrie, ils seraient minoritaires. Les Méditerranéens graciles sont, à l’inverse, peu nombreux en Anatolie. Ils forment la majorité en Syrie. En Jordanie ils n’apparaissent que tardivement au Néolithique, comme une seconde vague d’immigrants, Il est évident que des découvertes provenant d’autres gisements seraient nécessaires pour apporter une confirmation à cette répartition régionale. Nous disposons de trop peu de renseignements sur l’Irak et l’Iran pour tirer argument des restes qui y ont été trouvés.
On peut admettre que Eurafricains et Méditerranéens graciles, qui coexistent au Néolithique, sont des descendants, aux caractères affinés, des deux types de Natoufiens présents à l’Epipaléolithique.
Quant aux Alpins, ils se rencontrent en général dans des gisements ayant livré un nombre important de squelettes (Kumtepe, Çatal Hüyük, Jericho, Fallah) et ne sont jamais très nombreux. Une évolution à partir de Méditerranéens peut être avancée pour leur origine (D. Ferembach, 1966). Rappelons que les Alpins commencent à apparaître au Natoufien.