Les rapports réciproques entre nations sont déterminés le plus souvent par des facteurs géopolitiques: des intérêts et des dangers communs, des amis et des ennemis communs. Ce sont là des facteurs assez durables; l’histoire des guerres et de la diplomatie permet de relever au cours des siècles des systèmes de rapports constants entre pays donnés: rivalités ou antagonismes permanents, ou au contraire tendance propice aux alliances. Entre la Turquie et la Pologne une tradition ininterrompue de ce genre fait défaut: le XVIIe siècle, le XVIIIe siècle, le XIXe siècle, le XXe siècle nous livrent un tableau à chaque fois différent des relations réciproques entre le Lekhistan et l’Etat Osmanh. Les vicissitudes variables des deux nations portaient à chaque fois l’une et l’autre à poser d’une façon nouvelle la question: à quoi peuvent s’attendre les Polonais de la part des Turcs et les Turcs de la part des Polonais.
La paix de Carlowitz en 1699 avait mis fin à l’expansion turque en Europe et à la suite de guerres entre la Turquie et la Pologne. La Porte était passée dans la défensive, mais la République Polonaise avait elle - même cessé de compter comme une puissance, “Le spectre de l’anéantissement menaçant depuis près d’un siècle les deux Etats d’un même côté, rendait naturelle est nécessaire leur alliance défensive et offensive, constatait l’historien polonais Marian Kukiel. L’ancienne Republique Polonaise en voie de désagrégation ne l’a jamais dûment compris: la Turquie en revanche l’entendait pleinement et a donné au traité du Prut /1714/ des preuves louables de sa perspicacité politique. Ce fut à l’époque de la Confédération de Bar /1768/ qu’ont été posées les assises de la fraternité d’armes polono ٠ turque; le premier partage de la Pologne et la paix Kaïnardji /1774/ avaient établi entre les deux nations une fraternité dans le malheur” [1]. L’agent polonais au bord du Bosphore, Boscamp, constatait en 1777: “Chose inouïe, quelle impression un nom polonais fait à l’oraille d’un Turc: ils veulent exprimer en quelque sorte que nous sommes des compan- inons d’infortune... Ils nous traitent comme des frères, de bons voisins, de vieux amis - de tels symptômes s’observent même chez les femmes”[2]
De cette communauté de danger fortement ressentie aucune des parties n’a su pour le moment tirer profit. La diplomatie polonaise de la Diète de Quatre Ans /1788—1792/ n’avait pas su aider la Turquie lors de l’agression austro - russe ; la Turquie non plus, après la paix de Yassi n’avait pu soutenir Kosciuszko dans son ultime effort de défendre l’indépendance /1974/. Cependant la Porte n’a jamais formellement reconnu les partages de la Pologne et n’a pas suprimé elle - même la légation polonaise à Istanboul. C’est ce qui a donne lieu à une légende sentimentale très répandue en Pologne. Selon cette légende, le jour de Nouvel An, à l’audience du corps diplomatique, le sultan aurait invariablement demandé au maitre des cérémonies: L’ambassadeur du Lehistan est-il arrivé? A quoi il obtenait la réponse: pour l’instant il ne peut venir, mais sous peu il sera là et occupera son ancienne place. On racontait aussi que le sultan aurait placé sous sa protection l’ancienne demeure des ambassadeurs de Pologne à Istanbul afin de la restituer un jour aux ayant - droit. Tout au long de la période des partages on s’émouvait à ces récits en Pologne qui pourtant n’avaient aucun fondament historique. Ce qui en revanché était vrai, c’est que la Turquie, toujuors conservatrice, acceptait avec répugnance la violation de la liberté d’un Etat voisin, et d’autre part, que la Porte Ottoman pouvait vraiment tirer profit du rétablissement éventuel d’une Pologne indépendante[3].
Deux facteurs durables devaient déterminer les rapports réciproques des Turcs et des Polonais entre le dernier partage /1795/ et la première guerre mondiale /1914/. D’une part le fait que la nation polonaise ne s’était jamais résignée à la perte de son indépendance et, en conséquence, devenait en Europe centrale un facteur permanent de ferment, une menace continuelle pour les puissances copartageantes: Prusse, Autriche et Russie. D’autre part, la circonstance que deux de ces copartageants, notamment l’Autriche et la Russie, prétandaient aussi au role de copartageants de la Turquie. L’empire féodal du sultan entrait dans une période de désagrégation, les nationalismes des peuples balkaniques s’éveillaient et les deux puissances les plus proches prétendaient à la succession du “malade du Bosphore”. Face à la menace commune, Polonais et Turcs portaient leurs regards vers puissances occidentales. L’expansion de la France révolutionnaire et napoléonienne, la rivalité anglo - russe prenant pour enjeu les marchés du Proche - Orient, faisaient que l’on s’intéressait, d’une manière intermittente, il est vrai, à Pans et a Londres au destin Polonais... et des Turcs. A des intervalles réguliers, entre le déclin du XVIIIe et le début du XXe siècle, la célèbre “Question d’Orient” revenait à l’ordre du jour, et cela presque toujours en liaison avec la question polonaise. Les Polonais s’intéressaient de savoir si les Détroits ne deviendraient pas une cause de conflit entre la France et l’Angleterre d’une part, et l’un des copartageants de l’autre. Ce qui intéressait les Turcs, c’était si telle nouvelle insurrection polonaise ne relâcherait pas la pression exercée par la Russie du côté du Danube ou du Caucase.
L’historiographie polonaise a plus d’une fois enalysé cette liaison entre nos destins et ceux de la Turquie. Maurice Mochnacki, journaliste, historien et ré١7olutionnaire, écrivait en 1832: “Notre pays est le conducteur de la puissance des tsars, à partir du nord, vers l’est et le sud de l’Etat. A travers la Polonge /pour quiconque s’oriente bien dans la position des provinces polonaises annexées/ Moscou exerce sa pression sur la Turquie”[4]. Nos historiens s’orientent moins bien par la nature des choses dans la politique turque envers la Pologne. Par manque de compétence, je ne saurai que très superficiellement aborder certains aspects de ce problème: depuis les premières années consécutives au troisième partage jusqu’à la crise décisive marquée par le Congrès de Berlin en 1878.
La suppression de l’Etat polonais a renforcé l’alliance austrorusse et encouragé les deux cours impériales à reprendre leur marcheen direction des Balkans. La guerre contre la France révolutionnaire durait encore, le Directoire semblait s’intéresser à un mouvement offensif éventuel des Turcs et à un soulèvement des Polonais contre les puissances de la coalition. Des centaines de rescapés de la dernière insurrection polonaise avaient trouvé refuge dans les Principautés Danubiennes, et ils se préparaient à pénétrer à nouveau dans la Galicie autrichienne. Encouragés par les agents français, les pachas des provinces frontalières facilitaient l’armement des Polonais: c’était la première tentative turque après les partages de jouer la carte polonaises contre l’agression du nord. Tentative manquée du fait de négligences de part et d’autre et de déceptions également réciproques. Dans la décennie suivante, Napoléon avait tenté de jouer ta question d’Orient à sa façon: à Tilsitt il avait offert au tsar le démembrement de la Turquie en échange de l’alliance. Il avait perdu également cet enjeu, car au moment de la campagne décisive de 1812 il ne pouvait plus compter sur l’aide turque. Les Polonais, entraînés dans le système napoléonien, n’avaient aucune voix dans ce jeu.
Nous avons cependant un témoignage indirect attestant que, dans les aspirations irrédentistes de ce temps, on n’avait pas oublié en Pologne l’allié turc. C’est vers 1812 en effet qu’apparaît ce texte étrange appelé la Prophétie de Wernyhora: une annonce nébuleuse de la restauration promise de la Pologne, à la suite d’une grande guerre contre la Russie, qui devait se dérouler en territoire ukrainien, notamment avec l’aide des Turcs. L’une des versions de cette prétendue prophétie annonçait que “le Musulman abreuvera ses chevaux dans le Horyn” /affluent sud du Pripct/, et les générations successives de patriotes, jusqu’au XXe siècle répétaient cette annonce d’une apparition southaitée des Musulmans dans la province de Volhynie.[5]
Après le Congrès de Vienne la question polonaise, stabilisée pour quinze ans, semblait séparée pour de bon de celle de la Turquie. L’Europe s’intéressait aux Grecs, non aux Polonais. Nicolas I en guerre contre la Turquie /1828-1829/ était également roi de Pologne, il avait fait dire à Varsovie qu’il était venu sur les champs de bataille bulgares venger le souvenir du roi de Pologne Ladislas tombe à Varna en 1444. Rien n’annonçait que les Polonais puissent être utiles à la Porte Ottomane dans son conflit avec la Russie.
Cependant, plusieurs mois après le traité d’Andrinople, (Edirne), tellement défavorable pour la Porte, les mouvements révolutionnaires surgirent en Europe occidentale, et le 29 novembre 1830, Varsovie prenait les armes à son tour. Les pourparlers des insurgés avec Saint- Pétersbourg n’aboutirent à aucun résultat et, en janvier, commença la guerre polono - russe. La nouvelle en fut accueillie avec la plus grande joie à Istanbul: “Les affaires polonaises suscitent ici le plus grand intérêt”, rapportait d’Istanbul, à la date du 10 janvier un diplomate autrichien. [6] De fait, les embarras militaires du tsar Nicolas permettaient à la Turquie d’espérer des complications européennes et, à cette occasion de prendre une revanche pour sa défaite de fraîche date. En effet, l’ambassadeur de France Guilleminot, mal informé sur l’imminence d’une guerre universelle, incitait en mars le gouvernement turc à prendre part à cette guerre et à abolir le traité d’Andrinople: il promettait formellement l’appui de la flotte de guerre française en Mer Noire. Cette démarche est apparue bientôt par trop hâtive. Un cabinet conservateur et pacifiste venait d’arriver au pouvoir à Pans. Le danger de guerre européenne était écarte et, de ce fait, la Turquie ne pouvait reprendre de sa propre initiative des opérations militaires qui eussent pu aider les Polonais. En mai et juin le serasker Chosrev pacha entretenait aimablement l’envoyé du Gouvernement National polonais Wolicki; il soulignait la communauté d’intérêts des deux pays. Il indiquait cependant !’impossibilité d’accorder aucune aide aux insurgés polonais et refusait aussi à l’envoyé polonais la reconnaissance officielle.[7] D’ailleurs, la campagne polono - russe touchait à sa fin, et la Russie triomphait.
La décennie suivante était placée sous le signe du conflit entre la porte Ottomane et L’Egypte, et de la rivalité anglo - française dans le Proche - Orient. Dans cette conjoncture. Le sultan avait du recourir à la dangereuse protection russe /traité de Hünkâr- îskclesi, 1833/. La même année, l’accord austro - russe de Münchengratz laissait au tsar carte blanche dans les Balkans et réglait en même temps la collaboration des copartageants contre les mouvements révolutionnaires polonais. Ainsi se manifestait l’association des destinées de la Polonge et de la Turquie.
Au sein de l’émigration polonaise, concentrée principalement en France, le camp de Czartoryski eut vite fait d’apercevoir ces attaches et s’adressait aux ambassadeurs successifs du sultan à Paris, leur proposant une coopération antirusse. On étudiait entre autres “le project ce transférer toute l’émigration polonaise, au nombre de plusieurs milliers de personnes, de France en Turquie oii élle s’attèlerait à l’organisation de l’administration de et l’armée turque”. L’idée apparut utopique mais Czartoryski ne renonçait pas à la conception selon laquelle la Pologne verrait “sa libération venir d’Orient”. “Eux seuls /les Turcs/- écrivait - il en 1835-savent, selon moi, ce que vaut la Pologne et lui sont sincèrement favorables. Dès que la Turquie aura recouvré quelque peu d’indépendance, c’est vers elle qu’il faudrait tendre, s’attacher et rechercher en elle le véritable ami [8].
Au cours de plusieurs décennies ont séjourné au bord du Bosphore de nombreux agents de l’émigration polonaise, envoyés là pour nouer des contacts avec le gouvernement du sultan. Le plus connu d’entre eux, le général Chrzanowski, y avait, séjourné à trois reprises entre 1834 et 1840, en mission officieuse de la part du gouvernement britannique, chargé de l’organisation et de l’entrainement de l’armée turque, du système du recrutement, des fortifications des zones frontalières en Bulgarie et en Anatolie. Il était “le point principal de l’action polonaise secrète en Orient”[9]. C’est en 1841 que s’installe à Istanbul pour plus d’un quart de siècle Michel Czajkowski, chef de !’“Agence Orientale” d’Adam Czartoryski. Mettant à profit la protection diplomatique française, il noue de bonnes relations avec les ministres, élargit le réseau du service des renseignements, déploie des activités de propagande parmi les Slaves des Balkans. C’est là qu’il se heurta au dilemme-clef pour l’ensemble des relations polono- turques. Pour les Polonais qui voyaient leur principal ennemi dans le tsarisme russe, le renforcement de la Turquie et sa confrontation avec la Russie semblait bien entre la visée essentielle. Or aux yeux des Polonais comme des diplomates des puissances occidentales, la plus grande faiblesse de la Turquie résidait dans l’oppression des nationalités slaves qui recherchaient contre l’exploitation des pachas un appui à Vienne, et plus souvent encore à Saint - Pétersbourg. Par la nature des choses, les Polonais sympathisaient avec les aspirations nationales des Serbes, des Roumains et des Bulgares, et de fait, ils menaient dans les Balkans la politique suivante: ils encourageaient les autorités turques à consentir les concessions nécessaires à leurs sujets chrétiens, accordant en même temps à ces derniers leur appui dans leurs visées d’indépendance, celle-ci englobant aussi la libération de la protection russe. On souligne souvent le role positif des agents polonais dans l’émancipation des peuples balkaniques. Du point de vue de la Porte, la tendance ainsi manifestée n’était pas souhaitable. L’autodétermination des Roumains ou des Yougoslaves pouvait à plus échéance dresser une barrière à l’expansion du tsarisme; n’empêche qu’elle mettait en cause le pouvoir turc dans les Balkans. Entourant de sympathie les émigrés polonais, les ministres turcs s’efforcaient donc de contrôler leurs agissements.
Un champ d’action distinct était offert aux émissaires polonais dans le Caucase occidental ou les montagnards musulmans résistaient à l’expansion russe. Entre 1844 et 1857 des Polonais ont entame à plusieurs reprises des tentatives d’expédition maritime sur la côte orientale de la Mer Noire; ils s’essayaient à inciter les Circassiens à une action offensive, à gagner à leur cause les nombreux Polonais qui servaient dans l’armée russe. Les autorités turques s’engageaient indirectement dans ces agissements, jamais cependant très efficacement; aussi étaient - ils acculés au fiasco, surtout du fait de l’ignorance du terrain, de la balance incertaine des forces parmi les tribus caucasiennes, auxquelles avaient à faire les émissaires polonais[10].
Le plus proche collaborateur d’Adam Czartoryski, le colonel, ensuite général Zamoyski avait fait un séjour prolongé à Istanbul en 1847. Il avait été frappé par les manifestations visibles de vitalité de la société turque, par son aptitude à s’adapter aux transformations du siècle. “Et avec cela, ajoutait-il, je ne peux pas rester indifférent à la bienveillance qu’ils nous manifestent universellement ici, à nous Lckhites (Polonais). Cette bienveillance se manifeste par mille moyens. Ainsi p. ex. tous les chrétiens qui y séjournent sont appelés du nom méprisant de Francs, seuls les Lékhitcs constituent une exception, ils ne sont pas comptés parmi les Francs. Ils les appellent frères, amis des Turcs, unis par un malheur commun etc. Ils nous saluent avec attendrissement, quoique, par prudence politique, ils s’imposent des limites dans la manifestation de ces sentiments”[11].
Cette sympathie devait trouver son expression concrète dans la phase finale de la révolution européenne de 1848-1849, dite Printemps des Peuples. Au lendemain de la révolution de février à Paris il pouvait sembler que l’Europe était à la veille d’une guerre universelle et que la question polonaise jouerait un rôle fondamental dans le conflit qui opposerait l’Europe au tsarisme. Aussi Czar- toryski donnait-il aux Turcs les conseils suivants: “Profiter de la confusion qui règne en Europe, sortir immédiatement de l’inactivité, agir vite, se souvenir qu’il y a une unité d’intérêts essentialle entre la Turquie et la Pologne, ne pa.s oublier l’étonnante analogie qui existe entre la situation actuelle et la grand Révolution” /de la fin du XVIIIe siècle/. Ainsi que le constatait le chercheur polonais Handelsman, “les conseils donnés au nom du prince /Czartoryski/ par Czarjka étaient volontiers écoutés par la Porte. L’universalité jointe aux épanchements et à l’intensité du mouvement polonais, donnaient l’impression d’une véritable force”[12]. Ces apparences se sont on ne peut trop vite évanouies. La guerre européenne n’a pas éclate, le mouvement révolutionnaire en territoire polonais a été étouffé dans l’embryon. Qui plus est, l’animation soudaine des aspirations nationales dans toute l’Europe centrale a connu un large écho dans les Balkans, et il n’y a rien d’étonnant qu’elle a aussi menacé la domination turque. De là l’hostilité de la Porte envers les mouvements révolutionnaires, voire sa disposition à collaborer même avec Péters- bourg pour étouffer ces mouvements, p. ex. en Roumanie. La question polonaise avait subi en 1848-1849 un échec sur tous les fronts révolutionnaires, de même qu’avaient abouti à néant les efforts polonais visant à surmonter les conflits entre les nationalités, surtout en Hongrie, entre la population magyare et ses voisins. Il semblait à Czartoryski que le “Printemps des Peuples” devait rapprocher également en Turquie Père des concession au profit des nations jusque-là opprimées. On ne saurait s’étonner que la Porte soit restée sourde à ces encouragements, d’autant plus qu’ils ne trouvaient pas 1 appui de la diplomatie française ni britannique. Les Polonais résidant en Orient étaient déçus par les puissances occidentales et par les idées slave؟. Certains d’entre eux, dont Czajkowski lui même, passaient dès ce moment à des positions franchement turcophiles.
En août 1849 l’insurrection hongroise, ce dernier mouvement armé du Printemps des Peuples, essuyait une défaite définitive. Près de 5000 soldats, dont plus de mille volontaires polonais, cherchaient refuge dans les domanies du sultan en Bulgarie. Deux gouvernements alliés, le russe et l’autrichien, réclamaient !’extradition des réfugiés, dont aussi bien le chef des Hongries Kossuth que les généraux polonais Dembinski, Bcm, Wysocki, Zamoyski. Mais voici que le grand vizir Rechid Pa§ha repousse la demande d’extradition, conforté d’ailleurs qu’il était dans sa résistance par la démonstration de force des escadres de guerre françaises et britanniques. Le sultan aurait fait savoir qu’il était encore l’unique souverain pour qui le principe d’humanité resterait toujours sacré, disait-on dans le camp polonais. Tout semblait présager que la querelle sur les exilés polonais et hongrois provoquerait une guerre universelle. Un compromis diplomatique conjura ce danger. L’assistance et l’hospitalité turque sauvèrent la vie à un millier de militants polonais. Certains d’entre eux, avec Bcm en tête, se convertirent à l’islam et entrèrent en service dans l’armée turque. D’autres furent expédiés par voie de mer en Occident؛ plusieurs centaines restèrent en Turquie, s’adonnant a diverses occupations pour gagner leur vie. C’était le début d’une vague plus abondante de colons polonais qui devaient s’établir dans ce pays parfois pour de longues années. ٠
L’un d’entre eux mérite d’etre rappelé ici: Konstanty Borzecki, un jeune officier polonais qui embrassa l’islamisme, avança rapidement sous le nom de Mustafa Celâleddin au rang de général de division et périt en 1876 en tant que héros national turc. Dans ses écrits imprimés en français, il a développé la théorie du “turcoarianisme”, de la grandeur de la race turque et de son influence sur les destins del’Europe. Il proclamait la nécessite de moderniser la Turquie. Pour autant que je sache, aujourd'hui encore il est considere comme !'un des précurseurs du turquisme moderne [13].
A la fin de 1848, le sultan Abdulmecid transmit pour la fois à !'Agence polonaise de Istanbul un subside de 25 mille piastres, trait¿ comme un présent personnel fait à Czajkowski, “avec l’expression des plus chaleureux remerciements et la demande très nette de continuer ses services”. Le bénéficiaire écrivait en meme temps à son mandant Adam Czartoryski : “S'il se produisait des événements auxcjuels vous voudriez vous mêler, on peut toujours compter sur la Turquie et la pousser à une ferme action beaucoup plus facilement qu'aux préparatifs d’aujourd'hui. Les Turcs nous connaissent mieux et nous prisent plus haut que ne le font les autres Etats” [14]. Tirant les conclusions logiques définitives de ses idées, “Czajka” quitta vers la fin de 1850 !'Agence Orientale, passa à l'islamisme, et entra sous le nom de Mehmet Sadyk au service du sultan.
Quelques années apres éclatait le conflit oriental, la première et unique occasion au XIXe siècle ou, menacée par la Russie en Europe et en Asie, la Porte obtint une aide militaire effective des puissance occidentales. La guerre d'Orient de 1853-1856 fournissait évidemment une occasion de soulever la question polonaise, dans un premier temps par !'introduction sur le champ de bataille d’une unité polonaise. Le vizir Rechid paclra, le séraskier Mehmet Ali, faisaient eux - meme des avances en commençant par inviter des officiers supérieurs polonais. Bientôt il apparut que la guerre européenne serait uniquement feinte, que la coalition visait à proléger la Turquie sans vouloir mettre en déroute la Russie, qu’elle n’avait aucune intention de soulever la question polonaise. Cette situation devait peser sur !'attitude réservée des Polonais - tant ceux du pays que de l’émigration - attendant le déroulement des événements. On attendait en effet le moment ou la guerre universelle serait portée en territoire polonais. Les diplomates mattaient des bâtons dans les roues à la légion polonaise en Orient. Sadyk pacha obtint un firman autorisant à mettre sur pied un régiment de “cosaques du sultan”, où le soldat polonais était plutôt en minorité. Ce régiment avait pourtant sur son étendard !’Aigle Blanc polonais à cote du Croissant turc, cette circonstance étant justement la raison pour laquelle les alliés n’admirent pas cette formation sur la ligne principale du combat. Au stade final de la guerre, les Anglais qui avait besoin de “chair à canon”, avancèrent de l’argent pour former une division purement polonaise dans les Balkans: cette unité cependant n’était pas encore prête au combat lorsque commencèrent les pourparlers de paix. Rechid pache faisait connaître à Czartoryski en 1855 son désir que la pologne restaurée nouât avec la Turquie une alliance durable. C’étaient des spéculations que, dans les conditions de l’époque, ne pouvaient réaliser ni les Polonais, ni les Turcs.
Une nouvelle chance allait leur être offerte par l’insurrection polonaise de 1863. Elle éclata dans des circonstances particulièrement difficiles pour la Porte Ottomane: au moment ou elle était menacée du soulèvement de !’Herzégovine, soutenu par les agents russes, alors que Napoléon III, qui cherchait un rapprochement avec la Russie, se montrait enclin à lui laisser les coudées franches dans les Balkans. Le déclenchement de l’insurrection en Pologne réduisit à néant ces craintes: d’une part parce que pour plus d’un an les forces russes devaient être engagées au bord de la Vistule, de l’autre, parce que la question polonaise devait conduire à la rupture des accords entre Pétersbourg et Paris. Rien d’étonnant qu’Ali Pacha, en ce temps chef de la diplomatie turque, ait salué avec satisfaction les événements de Pologne. Au course du printemps et de l’été 1863 des notes diplomatiques concernant ce pays furent échangées par les grandes puissances, et personne ne pouvait exclure l’éventualité d’une guerre universelle. La Turquie devait également prendre position sur la question polonaise. Encouragé par Paris, Ali pacha adressa en avril une note à Saint - Pétersbourg, qui se situait dans le sillage des démarches parallèles franco - anglo - autrichiennes. “Nous désirons, nous devons désirer - était - il dit dans la note turque - que l’ordre et la tranquillité régnant partout et surtout chez nos voisins, que la paix du monde ne soit point compromise. On ne pouvait pas disconvenir que la prolongation indéfinie de l’agitation de la Pologne exerçait une influence pernicieuse sur certaines provinces turques et donnait, en conséquence, de sérieuses inquiétudes. Cette considération était vitale pour la Turquie qui s’associate à ceux qui faisaient des souhaits pour que le calme pût se rétablir”.
Comme on le voit la note turque était très circonspecte: en dépit de cela, le vice - chancelier Gortchakov ne voulait pas prendre au premier moment le document en main; ensuite il reprocha amèrement à son interlocuteur que, suivant en cela l’exemple des puissances occidentales, la Turquie se mêlait à des affaires qui ne la regardaient pas. Ali pacha cependant attirait l’attention des Russes sur le fait que sa note était extrêmement modérée, si on la comparait aux récentes ingérences de la diplomatie tsariste dans les affaires intérieures de la Turquie[15].
A la fin de juin, Drouyn de Lhuys, ministre des affaires étrangères du IIeEmpire, opérait un deuxième sondage auprès d’Ali pacha pour savoir comment se comporterait la Turquie au cas où le cours des événements ne permettrait pas d’éviter le conflit. Il faisait remarquer qu’ “au nom de l’humanité et de l’équilibre des forces”, la Turquie devait désirer la restauration de la Pologne et !’affaiblissement de son adversaire. Plus énergiquement encore l’ambassadeur britannique à Istanbul, Bulwer, avertissait que si la Turquie restait neutre dans la guerre toute proche, la paix serait peut-être conclue à ses dépens. Après une certaine hésitation. Ali pacha avait répondu que si la guerre éclatait, la Turquie ne saurait rester neutre. Il désignait en même temps les objectifs turc d’une guerre éventuelle: la libération de la Circasse et du Daghestan [16]. Par ailleurs il se rendait compte du risque attaché à la participation d’un partenaire plus faible dans une coalition de grandes puissances. Drouyn, mentionné ci-dessus, avait confié à Ladislas Czartoryski en août 1863 “que la domination du Caucase pourrait facilement etre payée par la Turquie par des concessions en un autre endroit, que la restauration de la Pologne pourrait rendre nécessaires”[17]. En d’autres termes: en prenant part à la guerre, la Turquie récupérerait peut - être en Russie une parcelle du Caucase, mais devrait en échange céder au
Autrichiens la Bosnie et !’Herzégovine, ce qui constituerait à son tour une équivalence pour la Galicie autrichienne cédée à la Pologne.
Ces considérations restèrent pure théorie puisqu’il n y eut pas de guerre européenne en 1863. L’aide turque aux insurgés polonais se limita à des facilités peu importantes dans le transport des armes à travers les Détroits et à l’organisation de volontaires dans les domaines danubiens du sultan. Après l’échec de l’insurrection, une nouvelle vague de réfugiés polonais laissa à nouveau en Turquie plusieurs centaines d’émigrés. Il y avait parmi eux des individus instruits, prêts à mettre leurs capacités au service du pays qui leur accordait l’hospitalité, et qui entrait justement sur la voie de la modernisation et des réformes. Des médecins et des ingénieurs polonais acquirent dans diverses provinces turques, avec des agronomes, des enseignants et des artisans, une bonne réputation. Particulièrement nombreux furent ceux qui trouvèrent un emploi dans la construction des lignes télégraphiques qui considérablement à la centralisation du pays. A commencer par la première ligne télégraphique d’Istanbul à Choumla, inaugurée en 1855, il n’y en a sans doute pas que une seule conduite à l’ouest et à l’est du Bosphore à laquelle n’aient pas travaillé des spécialistes polonais [18]. .
L’émigration polonaise en Turquie s’adonnait aussi à des activités politiques, de caractère très divers d’ailleurs. Tadeusz Orzec- howski /“Okşa bey”/ était vers la fin de l’insurrection agent du Gouvernement National polonais en Turquie, officieusement reconnu par la Porte. Après la défaite il est resté à Istanbul, a rendu à Ali pacha certains services et fondé en 1867 un “Brueau politique de correspondance” financé par le Ministère turc des Affaires Etrangères. Ce bureau employait des correspondants polonais dans toute l’Europe et associait les fonctions de renseignements aux activités de propagande. Du point de vue des intérêts polonais, il voulait préparer la Turquie à prendre part à la coalition austro - française montée à l’époque contre la Russie. En même temps il avait l’oueil sur les mouvements de libération nationale des peuples balkaniques, en particulier des Bulgares. Okcha s’imaginait qu’il réussirait à gagner les réformateurs turcs aux idées de la “Jeune Bulgarie”, chose qui évidement ne reposait sur aucun fondement réaliste. Face à le montée du ferment dans la raïa chrétienne des Balkans, l’opinion de l’émigration polonaise se prononçait en majorité en faveur des Slaves [19].
Les émigrés polonais en Turquie avaient cependant d’autres contacts politiques encore. En juin 1865, six jeunes gens avec Namik Kemal en tête fondèrent la société secrète des futurs “Jeunes Osmanlıs”. Bernard Lewis, l’auteur du livre sur “la naissance de la Turquie moderne” mentionne en passant qu’un des participants est venu à cette réunion “avec deux livres importants sur les carbonans et une société secrète en Pologne” [20]. Quoi d’étonnant à cela? Le nom des “Jeunes Turcs”, adopté à l’époque, renouait avec la Jeune Italie de Mazzini, fondée il y a trente ans, donc par là même avec ses soeurs: La Jeune Allemagne, la Jeune Pologne... Et en effet, sur l’acte constitutif de la Jeune Turquie, dressé à Paris le 30 août 1867, figurent les signatures de Mustapha Fazil pacha, Ziya pacha, Namik Kemal déjà cité, personnes bien connues dans le mouvement révolutionnaire turc. A cote d’eux figuraient sur cet acte deux noms étrangers: le journaliste libéral autrichien Simon Deutsch, et l’excentrique militant de l’émigration polonaise, comte Ladislas Plater. Tous deux devaient servir la nouvelle organisation turque par leurs relations en Europe occidentale, surtout dans les rédactions de journaux. Ajoutons qu’aux activités de la Jeune Turquie à Istanbul s’est joint peu après l’ancien dictateur de l’insurrection de 1863, le général Maricn Langiewicz. Dans ce contexte on ne s’étonnera pas des formulations de cet acte parisien:
“Le parti de la Jeune Turquie est constitué, il a pour but:
- La réalisation du programme réformateur du prince Mustapha Fazil contenu dans sa lettre adressée au Sultan, et par conséquent le changement du régime et des hommes qui oppriment présentement !’Empire Ottoman.
- La destruction de l’influence et de la propaganda russe en Orient, si dangereuse pour l’existence même de !’Empire Ottoman
l’amoindrissement du czarisme par l’émancipation des populations chrétiennes en Turquie de la tutelle moscovite et par le rétablissement de l’héroïque nation polonaise dans son antique indépendance, comme boulevard contre les empiètements de la barbarie de la Russie” [21]..
Les premières idées de transformation radicale du régime de la Turquie ont été, on le sait, étouffés dans l’embryon. Les années 70 en revanche ont apporté à la Turquie la première constitution, libérale à en juger par la lettre, mais également de courte vie. Cette constitution avait été imposée par la menace extérieure: une nouvelle vague de remous balkaniques et une nouvelle agression russe. Dans ce contexte, en quelque sorte automatiquement, la question polonaise avait pris du regain au bord du Bosphore. Nul autre que l’auteur de la constitution, Midhat pacha, s’adressa à certains Polonais d’Istanbul, en septembre 1876, leur demandant si leur pays ne se soulèverait pas dans le cas d’une guerre européenne. Il assurait que, dans ce cas, la Porte fournirait aux insurgés des armes et de l’argent, il suggérait aussi de créer une légion polonaise à la solde turque. Il tomba d’ailleurs sur des hommes peu dignes de confiance. Ni en émigration, ni d’autant plus au pays, les patriotes d’un certain renom n’étaient pressés d’entreprendre ce risque. Midhat pacha confiait à un employé de l’ambassade autrichienne: “Ich sehe gar nicht ein, warum die Türkei, wenn sie von Russland in ihrer Existenz bedroht wird, dann nicht selbst zu den Mitteln greifen könnte, den Russen in Polen durch Unterstützung der polnischen Emancipations- Gelüste Verlegenheiten zu bereiten, wodurch auch Deutschland im Schah gehalten werden könnte” [22].
Des agents anglais parcouraitent également l’Europe au début de la guerre, qui offraient des sommes importantes en livres sterling aux organisateurs éventuels de quelque soulèvement en Pologne. En Turquie comme en Angleterre on trouvait facilement un argument contre les remontrances russes sur l’oppression des Slaves sous le joug du sultan: que le tsarimse opprime plus cruellement encore les Polonais. Au plan de la propagande comme à celui de la diversion, la question polonaise était traitée comme un instrument occasional.
La disgrâce subite de Midhat en février 1877 coupa court à cette négociation douteuse. Au cours de l’année qui suivit plusieurs foyers de conspiration en Galicie autrichienne ont entrepris de timides préparatifs insurrectionnels pour le cas ou la Grande - Bretagne et l’Autriche - Hungrie se mêleraient à la guerre russo - turque. Ce qui prédominait cependant, c’était la crainte d’une provocation, de s’exposer à des sacrifices inutiles pour l’intérêt des autres. Il se trouve pourtant à Istanbul plusieurs centaines de ١٢olontaires polonais qui entrèrent dans l’armée turque. Ils obtinrent des uniformes turcs et des bonnets polonais rouges, en outre l’étendard avec le Croissant et !’Etoile ainsi que l’Aigle Blanc sur champ rouge. Ils partirent pour le front balkanique en juin 1877. A leur tête se trouvait le commandant Jagmin, un homme déjà âgé vétéran de trois insurrections nationales. Sur les chemins empruntés par l’armée ennemie, ces légionnaires abandonnaient des feuilles adressées “aux frères qui servent dans les armées russes”. On y reppelait l’ancien mot d’ordre polonais: “Sous les ailes de !’Aigle Blanc nous apportons la liberté à la Pologna et à la Russie” [23].
Le seul fait que sous les ordres de Jagmin se soit trouvée une poignée à peine d’hommes indique que cette légion polonaise ne peut etre traitée que comme un geste symbolique, et non pas comme une expression de la volonté nationale. La plupart des émigrés sympathisaient en ce temps plutôt avec les Slaves qui revendiquaient leur liberté dans les Balkans qu’avec le régime turc. Cependant la légion elle - même s’est vaillament battue à Kizilar et à à'cnikôy, tout en subissant de lourdes pertes. Jagmin lui - même grièvement blessé, est mort à l’hôpital trois jours après la bataille, Les débris ce cette légion polonaise ont pris part à la retraite de l’armée et la formation a été dissoute avant même la fin de la guerre. Par ce tribut de sang, les légionnaires polonais se sont acquittés d’une dette d’honneur, en contrepartie du refuge hospitalier qu’ils avaient trou٦e en Turquie.
Ce fut là dernier époside ou la question turque pouvait s associer à la question polonaise. Après le Congrès de Berlin, le silence s’était fait sur la Pologne dans les chancelleries diplomatiques et presque tous les camps politiques en Pologne semblaient avoir renonce à toute démarche en faveur de l’indépendance. En Turquie en revanche s’approfondissait la désagrégation de la monarchie Osmanh et les jours de sa domination dans les Balkans étaient déjà comptés. De nouvelles forces sociales émergeaient dans les systèmes changés. La révolution de Jeunes - Turcs du début du XXe siècle n’avait aucun lien avec la révolution polonaise de 1905-1907. Cependant la première guerre mondiale est venue et le conflit entre les puissances copartageantes a fait revivre la question polonaise. Sur le front austro - russe en 1916 apparut asset inopinément un faible contingent turc. Quelque’un rappela fort à propos la prophétie de ١Vernyhora du siècle passé: que le Musulman abreuverait scs chevaux dans le Horyn...
Quelques années plus tard et presque simultanément, la Pologne recouvrait son indépendance, tandis qu’en Turquie la révolution nationale consacrait son triomphe sous la direction de Kemal Atatürk. Deux nations lointaines devaient dès lors emprunter des voies distinctes.
Le publiciste tire du passé, sui١٢ant les besoins du moment, des exemples de fraternité d’armes des deux nations, de sympathie réciproque, d’aide mutuellement accordée. L’historien en revanche recherche plutôt des régularités et se penche sur le mécanisme qu- alternativement, rapprochait ou éloignait l’une de l’autre ces deux nations si différentes que sont la nation turque et la nation polonaise. Au XVIIIe et XIXe siècles, ces deux peuples ont eu un adversaire commun, notamment l’impérialisme des tsars. Pour que cependant ce facteur d’adversaire commun fonctionner efficacement dans les rapports polono - turcs il était nécessaire que s’affirme, en Pologne, la volonté de défendre l’indépendance, et en Turquie celle de défendre !’Empire. De telles conditions étaient de fait remplies pendant plus d’un siècle, depuis le temps de la Confédération de Bar jusqu’au Congrès de Berlin. Rarement cependant en cette période les initiatives polonaises et turques coïncidaient exactement dans le temps: quelque - fois la Pologne et d’autres fois la Turquie manifestaient plus d’initiative. Le manque de concentation de ces initiatives entraînaient des déceptions réciproques. Dans la seconde moitié du XIXe siècle commença à jouer un autre facteur: l’émancipation nationale des Slaves balkaniques. Tant que l’émigration polonaise pouvait traiter ces mouvements uniquement comme un instrument du panslavisme tsariste, elle pouvait associer la défense de la Porte Ottomane à la cause des libertés serbes et bulgares. A partir toutefois du moment ou ces deux nations se sont libérées de la tutelle russe, l’opinion publique polonaise devait se déclarer pour elles, contre le pouvoir du sultan.
Cette histoire relève du passé. Nous gardons aujourd’hui l’agréable souvenir des moments lointains ou tant de Polonais attendaient le soutien du Croissant autrefois, ou tant d’entre eux ont trouvé refuge sous l’autorité du padischah, et, ajoutons - le, payé ce bienfait en retour. Ajoutons encore une réflexion: les moments vraiment sincères et fructueux de cette coopération des deux nations étaient ceux justement qui mûrissaient sous les mots d’ordre, toujours actuels, de !’autodétermination des nations et du progrès social.