Dans l’introduction à mon catalogue des manuscrits du Syllogos de Constantinople[1], j’ai donné quelques indications sur l’histoire de cette société ellemême, son organisation, ses activités et sa bibliothèque. Un document dont je viens de prendre connaissance permettra de compléter ces informations. Mc trouvant à Ankara à l’occasion du huitième Congrès Turc d’Histoire (11-15 octobre 1976), j’ai pu examiner à la Bibliothèque Nationale (Milli Kütüphane) de cette ville un volume de 23,5 X 16,5 cm sous demireliure noire, qui, comme on va le voir, provient très certainement du Syllogos. Il est entré à la Milli Kütüphane le 21 février 1972, comme en fait foi le cachet d’accession, mais je n’ai pu apprendre d’où il provenait; un cachet figurant au verso du premier feuillet stipule d’ailleurs que sa provenance est inconnue: Nereden geldiği belli değil. Mais, quelles qu’aient pu être ses vicissitudes dans l’intervalle, il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’un registre officiel du Syllogos de Constantinople. Au premier plat, on peut voir l’emblème de la société, une lampe à huile allumée, surmontant la date ΑΩΞΑ (= 1861, année de la fondation du Syllogos). Au dos, on retrouve, en plus petit, la lampe et la date, puis les mots EN ΚΩΝΣ/ΠΟΛΕΙ ΕΛΛΗΝΙΚΟΣ ΦΙΛΟΛΟΓΙΚΟΣ ΣΥΛΛΟΓΟΣ (= Société Littéraire Grecque à Constantinople), à nouveau la lampe et la date, puis le titre proprement dit du registre, ΕΠΙΔΟΤΗΡΙΟΝ ΔΙΠΛΩΜΑΤΩΝ ΤΑΚΤΙΚΩΝ ΜΕΛΩΝ (= Registre de remise des diplômes des membres ordinaires), et une troisième fois la lampe et la date.
Le bloc est fait d’environ 260 feuillets de fort papier blanc, sans foliotage. La garde et quelques feuillets ont été arrachés, tant au début qu’à la fin, ce qui nous prive sans doute d’informations complémentaires sur l’origine et les destinées ultérieures du volume. Sur chacun des feuillets est imprimé au recto le texte attestant la remise du diplôme de membre ordinaire, avec des blancs pour le nom du membre, son adresse et la date de la remise du diplôme. Voici ce texte dans l’original:
Δίπλωμα Μέλους ταϰτιϰού
…………………….τού έν
Κωνσταντίνουπόλε ι ‘Ελληνιϰού
Φιλολογιϰού Συλλόγου
Moi έπεδόθη τη ...
Διεύδυνσις
En voici la traduction:
Diplôme de Membre Ordinaire
(Place pour le nom) de la
Société Littéraire Grecque
à Constantinople
M’a été remis le (Place pour la date
et la signature)
Adresse
Les indications manuscrites complétant ces formules sont les suivantes: le nom du membre (au génitif), très souvent l’indication de sa profession, sa signature autographe et la date de la remise du diplôme. L’adresse du membre, notée assez régulièrement dans les débuts, manque la plupart du temps dans les diplômes des dernières années.
L’entrée la plus ancienne remonte au 14 novembre 1905, et la plus récente, au 20 mars 1916. Le registre couvre donc une période d’un peu plus de 10 ans. Le nombre des personnes admises comme membres ordinaires au Syllogos durant cette décennie dépasse de peu les deux cent cinquante. Dans la dernière période de son activité, la société témoignait donc encore d’une certaine vitalité. On se rappellera que, peu de temps après sa fondation, le Syllogos décida de publier sa propre revue[2]; en fait, le tome 1 de cette revue parut en 1863; le dernier dont j’aie connaissance, le tome 33, qui couvre les années 1910- 1911, est daté de 1914.[3] Or, dans presque tous ses numéros, la revue donne diverses listes des membres de la société: fondateurs, membres ordinaires (avec l’année de leur élection), membres d’honneur, membres correspondants, bienfaiteurs et donateurs, présidents depuis 1861, bureau de l’année en cours et commissions permanentes. Ainsi, nous connaissons par leur nom tous les membres ordinaires jusqu’en 1912/13, date du dernier relevé publié. Le registre de la Milli Kütüphane, qui descend, lui, jusqu’au 20 mars 1916, nous apporte donc un précieux complément d’information, puisqu’il nous donne les noms de plus d’une centaine de membres ordinaires entrés au Syllogos après la publication de la dernière liste imprimée.
Un mot encore à propos du nombre des membres ordinaires de la société. Quelques coups de sonde dans les listes publiées dans la revue m’ont fourni les chiffres suivants. En 1863, il y avait 24 membres ordinaires (à côté de 90 fondateurs). Ensuite, le nombre des membres ordinaires monte assez régulièrement; il est de 66 en 1871, de 207 en 1872, atteint le chiffre record de 379 en 1882, n’est plus que de 319 en 1887, remonte à 357 en 1892, pour descendre à 240 en 1902, et à 191 en 1912.[4] A la veille de la première guerre mondiale, le rayonnement du Syllogos n’était donc plus ce qu’il avait été trente ans plus tôt, du moins si l’on peut en juger par le nombre des membres ordinaires. Mais on ne peut parler, pourtant, de crise grave ni de totale défaveur: la liste des membres recrutés jusqu’en 1916 montre au contraire que la société continuait d’attirer les Constantinopolitains amis de la langue et de la littérature grecques. Ce sont les tragiques événements de l’immédiat aprèsguerre qui lui porteront le coup fatal.
En terminant, qu’il me soit permis de présenter mes remerciements les plus sincères à Madame Dr. Müjgân Cunbur, Directeur Général de la Milli Kütüphane, qui m’a autorisé à examiner le volume dont il vient d’être question (lequel, soit dit en passant, n’a pas encore reçu de cote officielle). Mes remerciements s’adressent aussi à M. Mustafa Sevin, qui m’a facilité les recherches et m’a offert l’hospitalité de son bureau, et enfin au Deutsches Archäologisches Institut d’Istanbul, où j’ai pu consulter à loisir la collection complète de la revue du Syllogos.
Peut-être puis-je également me risquer à formuler un voeu. Comme tous les manuscrits et documents ayant appartenu au Syllogos sont actuellement propriété du Türk Tarih Kurumu, il serait très souhaitable que le registre récemment déposé à la Milli Kütüphane puisse venir les y rejoindre bientôt.